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Gens de la mer : vies oubliées, souffrances silencieuses

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Société : Un bateau échoué sur la terre ferme, un autel dressé sur sa proue, des fidèles tournés vers l’océan. Le décor était fort en symboles. Ce dimanche 13 juillet 2025, le village côtier de Tamarin accueillait la célébration du Dimanche de la Mer, organisée chaque deuxième dimanche de juillet. La messe était présidée par Mgr Jean Michaël Durhône, entouré des pères Mariusz Totlinski et Arnaud Bonassies, respectivement curé et vicaire de la paroisse Saint-Augustin, ainsi que du père Jacques-Henri David, aumônier de l’Apostolat de la Mer. Cette célébration a été marquée par une homélie percutante du Père David.


Un autel original au cœur de la mer et de la foi


L’autel, installé de manière originale sur la proue du bateau échoué à terre, attire le regard par sa sobriété et son harmonie avec le cadre maritime. Protégé par une petite tonnelle blanche de type barnum qui offre une ombre bienvenue et délimite l’espace sacré, il reprend les codes d’une messe traditionnelle. La table de célébration, couverte d’un linge blanc, porte au centre une grande croix métallique, symbole fort de la foi chrétienne. Un micro sur pied permet au prêtre de s’adresser à l’assemblée. À droite, des plantes vertes et des décorations florales apportent une touche naturelle et solennelle. Le bateau, posé sur des cales et partiellement entouré d’un drap bleu vif évoquant la mer, complète ce décor symbolique. Cette mise en scène originale souligne le lien direct entre la foi, la mer et ceux qui y travaillent, plaçant les marins littéralement au cœur de la célébration.


Chaque année, l’Église catholique invite à prier pour les marins, marins-pêcheurs, pêcheurs et leurs familles. Mais cette célébration a pris cette fois un sens plus large, lançant un appel à la conscience collective sur la réalité du monde maritime, souvent oublié ou méconnu.


Le Père David a commencé par rappeler une vérité que l’on ignore trop souvent : 90 % de ce que nous utilisons ou consommons arrive par la mer. Des hommes, souvent invisibles, traversent les océans dans des conditions de vie difficiles pour que ces produits parviennent jusqu’à nous.


 Le quotidien des marins est marqué par une forte promiscuité : « Il y a environ 12 à 15 marins qui vivent dans un espace restreint pendant six mois et qui se voient tous les jours. Ce n’est pas quelque chose de facile. » Et même lors des escales, le repos reste une illusion. « Quand un bateau fait un débarquement, cela prend à peu près sept heures. Il y a quelques marins qui ont le temps de sortir, mais c’est pour deux heures à peine, juste pour acheter un shampooing ou une savonnette et remonter à bord. »


La souffrance morale, un mal trop souvent silencieux


Mgr Durhône recevant symboliquement des outils de pêche lors de l’offertoire
Mgr Durhône recevant symboliquement des outils de pêche lors de l’offertoire

Plus grave encore, la souffrance morale, souvent muette. Le Bureau international du Travail a récemment mis en lumière un phénomène inquiétant : l’harcèlement à bord. « Personnellement, je n’y avais jamais porté attention avant. Je ne le voyais pas. Quand un marin vient nous voir, il nous dit simplement qu’il veut arrêter de travailler, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Et nous les aidons. Mais jamais nous ne nous sommes demandé pourquoi. » Derrière ces demandes se cachent souvent une détresse profonde, parfois même des idées suicidaires. Le Bureau international du Travail appelle désormais à la vigilance et à la mise en place de services d’écoute pour ces hommes isolés. 


Autre réalité tout aussi préoccupante : celle des marins-pêcheurs, notamment ceux venus de pays comme Madagascar, le Vietnam ou les Philippines. Recrutés avec des contrats qu’ils ne comprennent pas, ils découvrent à bord une vie de labeur intense, sans interlocuteur clair, et avec des conditions de paiement incertaines. À Maurice, vingt marins malgaches attendent actuellement d’être régularisés et rapatriés. « Il faut régler leur contrat, leur rapatriement, et en attendant, il faut les nourrir. Heureusement que nous avons nos partenaires pour nous aider. Ces gens de la mer espèrent simplement une solution, parce qu’ils veulent rentrer chez eux. »


Le prêtre a aussi élargi son propos à l’avenir de la mer à Maurice. Le pays, longtemps considéré comme une simple île, est aujourd’hui un État océanique, avec une immense zone maritime. Pourtant, les ressources humaines dans ce secteur sont faibles. Il est donc nécessaire d’orienter les jeunes vers les nouveaux métiers de la mer, qu’il s’agisse de conservation marine, d’aquaculture ou de sciences océaniques. « On commence à conscientiser nos jeunes : l’avenir se trouve dans cet État océanique en plein développement. »


Avant la fin de la célébration, une bénédiction des bateaux a eu lieu. Depuis la plage, fidèles, marins et membres de l’Apostolat de la Mer ont assisté à ce moment. À bord d'un bateau, Mgr Jean Michaël Durhône, accompagné du père Jacques-Henri David, a procédé au rituel en bénissant les embarcations à l’aide d’eau bénite, tout en longeant le rivage. Une clôture sobre, mais porteuse de sens, pour une célébration tournée vers ceux qui vivent de la mer.



Les défis majeurs des pêcheurs mauriciens


La police joue un hymne en hommage aux disparus en mer
La police joue un hymne en hommage aux disparus en mer

• Le vieillissement d’une profession en danger


La grande majorité des pêcheurs à Maurice ont aujourd’hui plus de 50 ans. Ce constat est préoccupant, car très peu de jeunes générations s’engagent dans cette activité traditionnelle. Pire encore, lorsqu’on demande à un pêcheur s’il souhaite que son enfant reprenne ce métier, la réponse est souvent un refus catégorique. Ce désintérêt grandissant met en péril la transmission d’un savoir ancestral, avec un risque réel que cette profession disparaisse progressivement faute de relève.

 

• L’impact du changement climatique sur la pêche


La mer évolue, le climat change, et avec eux les méthodes de pêche doivent impérativement s’adapter. De nouvelles techniques existent et des programmes de formation sont proposés pour aider les pêcheurs à faire face à ces transformations. Mais au-delà des techniques, la perception même de Maurice change : autrefois considérée comme une île insulaire, elle est désormais reconnue comme un État océanique avec une vaste zone maritime. Cette immensité requiert des compétences humaines et techniques nouvelles. Il est donc crucial d’encourager les jeunes à s’intéresser aux métiers liés à la mer, que ce soit dans la pêche, la conservation marine, l’aquaculture ou les sciences océaniques, afin de répondre aux besoins croissants d’un territoire maritime en plein développement.


 • Le fléau de la drogue dans le monde de la pêche


La drogue est un problème qui touche tous les secteurs à Maurice, y compris celui des pêcheurs. La pêche en mer exige une grande résistance physique et mentale, et certains pêcheurs ont recours à des substances pour tenir le coup. Pire encore, certains patrons fournissent ces doses avant les sorties en mer ou avancent de l’argent pour que les pêcheurs achètent leurs produits. Cette situation entraîne des conséquences graves, comme aux Seychelles où des hélicoptères doivent parfois intervenir pour secourir des pêcheurs en état de manque. Ce phénomène alarmant souligne la complexité et la gravité des défis auxquels font face les communautés maritimes.

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